Imane Ayissi, l'élégance africaine sur les podiums mondiaux
Temps de lecture : 7 minutes
Rédigé par La rédaction / 24 Déc 2024 à 06:33
Comment définirais-tu le luxe Made in Africa ?
Le luxe made in Africa, c’est à nous de le construire. le luxe africain existe, bien sûr. Mais les Africains ont consommé le luxe des autres depuis fort longtemps. Du coup, lorsque l’on parle du Luxe Made In Africa, j'ai peur que ça ne soit encore qu’une façade, un peu comme si on se jouait la comédie.
Pour que le luxe africain puisse prendre sa place, il faut d’abord la prise en compte de notre patrimoine, dans tous les corps de métiers. Valoriser l’histoire de l’Art en Afrique. Notre luxe doit être fondé sur nos vraies valeurs. Donc si les africains eux mêmes bafouent leurs valeurs et qu’on continue de penser que ce qui vient d'ailleurs est mille fois mieux que ce que l’on trouve en Afrique, c’est qu'il y a un problème.
Par où commencer ?
Cela commence par acheter ce que font les Africains: les créateurs de mode, les écrivains, les artistes plasticiens, etc. C'est là que sont basées les vraies valeurs du luxe. Récemment, beaucoup de pays africains ont célébré leur 60 ans d’indépendance. Et le bilan, c'est quoi ? C'est une question que je me pose à moi-même aussi. Nous devons nous rééduquer, re-observer, redonner confiance aux jeunes générations pour qu'ils puissent voir la lumière et avancer dans la bonne direction. Avant toute chose, il nous faut transmettre le flambeau de notre histoire et de nos valeurs de manière authentique.
Le luxe, est-il avant tout une question d'estime de soi ?
Tout à fait. Le luxe, c'est d'abord l'estime de soi, les vraies valeurs, la prise en compte de l'histoire de nos pays, le rôle de nos grandes figures et de nos peuples.
Le luxe doit-il forcément être cher ?
Pas nécessairement. Le luxe, c'est le bien-être aussi. Chacun voit son luxe à sa manière.
Maintenant, quand on parle de luxe, on pense souvent à des choses un peu rares et distinguées. Et là, ça va commencer à coûter de l’argent. Les choses bien faites et rares ont forcément un prix.
C’est à nous, Africains, de faire les efforts nécessaires pour comprendre comment ça fonctionne et bien travailler pour accéder à ça.
En Afrique, on fait encore beaucoup de choses à la main et sur mesure. Ces critères ne correspondent-ils pas également au luxe ?
Le fait-main peut être un critère du luxe, mais ça ne suffit pas. Cela dépend aussi de la façon dont on fait les choses, la qualité des finitions, la qualité des matières utilisées. Par exemple, c’est parfois compliqué de trouver du 100% coton dans certains pays africains. Un certain niveau d’exigence appliqué à chaque étape de la création artisanale, c’est ce qui permet d’obtenir un produit de luxe.
Comment a évolué la place de l'Afrique dans la haute couture et le luxe durant ces 20 dernières années ?
Sur la scène internationale, beaucoup de créateurs se sont inspirés de l’Afrique. C’est une manière de lui rendre hommage. Parfois de grands événements disent vouloir mettre l’Afrique à l’honneur, comme ce fut le cas aux Galeries Lafayette il y a quelques années, mais ils le font sans les Africains. Et qu'est ce qui se passe après ? Heureusement, d’autres musées ont un peu sauvé l’honneur, justement, en faisant des expositions collectives avec des créateurs africains.
Il appartient aussi aux créateurs africains de chercher à se faire une place. Le domaine de la haute couture n'est pas ouvert à tout le monde. Disons que les choses avancent petit à petit. La preuve, c'est que je suis dans le calendrier officiel pour les défilés à Paris. J’ai fait mon entrée en 2020. Et je viens de faire mes dix saisons sans interruption. Donc, ce n'est pas rien. C’est à nous, Africains, de faire les efforts nécessaires pour comprendre comment ça fonctionne et bien travailler pour accéder à ça.
Quels sont les principaux facteurs qui t'ont permis de réussir à un tel niveau et d’avoir une telle longévité ?
Le premier élément, c’est la curiosité. Il faut être curieux et beaucoup travailler. L’endurance aussi, il faut vendre et il faut faire un travail de qualité. Un travail très différent de tout ce qu’on a l'habitude de voir. Mais c'est très compliqué parce qu'on a l'impression que tout a été fait. Du coup, comment renouveler la machine ?
On ne peut pas faire la mode, s’il n’y a pas la presse !
Imane Ayissi
Comment développer une industrie du luxe sur le continent ?
Sur le continent africain, il y a énormément de talents partout. Les Africains eux mêmes doivent créer un écosystème dans lequel évoluent les créateurs, que ce soit pour les vêtements, les accessoires, les sacs, y compris la communication, avec une presse spécialisée qui traite la mode. En Afrique, ça n’existe pas. On ne peut pas faire la mode, s’il n’y a pas la presse ! Ensuite, il nous faut mettre une plateforme en place, avec un syndicat pour instaurer de grands rendez-vous événementiels, suivant les saisons, où chacun présente son travail et profite de toute la communication qu’il y a autour. C’est comme ça que ça se passe. Pour le prêt-à-porter et la haute couture. Ce n’est pas aux maisons de coutures d’organiser des fashion week ou d’avoir des agences de mannequins.
Enfin, l’élément essentiel reste les vrais acheteurs, les vraies clientes.
Le chantier est vaste. Il s’agit de structurer tout le secteur.
C'est très vaste. Mais il est important de dire que c’est à nous d’écrire notre histoire des métiers de la mode. Il y a eu des gens qui ont brillé à chaque époque.
Je peux citer Chris Seydou, Gisele Gomez, il y en a eu dans tous les pays. Chacun a combattu et fait le métier comme il le pouvait à son époque. Il ne faut jamais les oublier.
Je ne suis pas née dans la génération internet, mais aujourd’hui, on essaie de s'adapter parce que les choses évoluent très vite. N’effaçons pas le passé pour autant. Il y a de la place pour tout le monde. C’est normal qu’il y ait de la compétition, cela doit nous encourager à travailler dans tous les corps de métier.
L'Afrique, peut-elle se suffire en tant que marché pour les créateurs africains ?
Bien sûr. Qui doit habiller les africains ? C'est d'abord les Africains eux mêmes. Les créateurs de mode qui montent leur petite affaire et qui vont habiller, fabriquer et commercialiser leur savoir-faire. Premièrement, ça va créer des emplois, ça va mettre la machine de la mode sur les rails, parce que tous ces gens-là paient des impôts, paient des taxes, ils créent de la valeur.
Nous devons aussi promouvoir notre patrimoine du textile et je ne parle pas des tissus qui ont été imposés aux Africains avant les indépendances. Des gens de ma famille s'habillent avec ces tissus-là, ce n'est pas interdit. Mais n'oublions pas que nous avons nos propres matières aussi. Les Kente du Ghana, voiles de coton de Mauritanie, Kita du Sénégal ou de côte d’ivoire, Faso Dan Fani du Burkina Faso, et d’autres. Ce patrimoine est menacé de disparition car les artisans qui fabriquent ces tissus magnifiques, sont, pour la plupart, d’un âge avancé. Que va-t-il se passer si les jeunes ne sont pas formés pour prendre la relève ?
Quels sont les créateurs sénégalais dont tu apprécies le travail ?
J’aime beaucoup Mike Sylla de Baye Fall, Sadiya Gueye et Diouma Dieng. J’apprécie aussi les boubous avec des perles et les grands foulards de Khadidja Ba (Le Sandaga).
Un dernier mot ?
Je veux insister sur le fait que nous devons acheter africain et promouvoir la mode africaine.
La mode est un métier noble, c'est une grosse machine économique. Cela représente tout ce qui nous accompagne au quotidien: l’art de la table, les voitures, l'architecture, mais aussi les artistes, les peintres… Il y a tout un tas de corps de métiers qui mettent en valeur le savoir faire de la main humaine.
Donc, les africains doivent prendre ça au sérieux. Beaucoup de gens rêvent de porter un tailleur Chanel, un sac Dior où Saint-Laurent. Ce sont des créateurs de mode. Pourquoi beaucoup rêveraient de porter ça, si ce n’est pas si important ? Tout le monde ne peut pas devenir médecin ou ministre. On doit tenir compte de tout ça, encourager les jeunes et les envoyer dans de bonnes écoles de mode quand c’est possible.
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